Lanteigne S. Les intoxications par les champignong sauvages. Bulletin d’information toxicologique 2010;26(2):8-12. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/les-intoxications-par-les-champignons sauvages
Comme le printemps est agréable, le bourgeonnement des arbres et des fleurs, les odeurs qui émanent de partout, sans oublier l’arrivée des champignons. De plus en plus de gens s’adonnent à la cueillette des champignons sauvages et la belle saison nous en apporte de nombreuses variétés. Que dire du goût des morilles, des chanterelles, de certains agarics, quel délice! Mais la prudence s’impose car certaines espèces de champignons sauvages sont toxiques, voire mortelles.
Au Québec, des mycologues spécialistes tentent, par la tenue de conférences et la publication de livres et d’articles, de vulgariser cette science pour la rendre plus accessible aux amateurs intéressés. Ainsi, le Cercle de mycologie de Montréal en est à sa 60e année d’existence. Selon Mycoquébec. org (www.mycoquebec.org), 2 960 espèces de champignons sont répertoriées au Québec.
Avec la mondialisation et les changements climatiques, de nouvelles espèces de champignons font leur apparition et amènent avec elles des dangers potentiels.
On peut découvrir à proximité de chez soi, et ce dans les mêmes habitats, aussi bien des champignons comestibles que des champignons toxiques.
Les mycologues et les directions de santé publique ne cessent d’inciter les gens à la prudence. L’audace et la témérité n’ont pas leur place en mycologie. En effet, il n’est généralement pas aisé d’identifier un champignon; la confusion est facile en présence d’un champignon rare. L’observation de la taille des spores ou d’autres éléments microscopiques est la seule façon de distinguer avec certitude une espèce d’une autre. Cette difficulté est à l’origine d’erreurs d’identification qui peuvent entraîner des intoxications.
Chaque année, le Centre antipoison du Québec (CAPQ) reçoit entre 400 et 500 appels à la suite d’ingestion de champignons et ce, du printemps jusqu’au gel des sols. Selon les statistiques de 2007, le principal type d’appel (64 % des cas rapportés) concerne un parent ou gardien dont l’enfant d’âge préscolaire vient de porter à sa bouche un champignon. Le second type d’appel (36 % des cas) concerne un ou plusieurs adultes présentant des symptômes après un repas contenant des champignons sauvages.
Le présent article traite principalement du syndrome phalloïdien. Au Québec, ce syndrome est associé à certains champignons des espèces amanites, lépiotes et galérines. Il est important de le reconnaître, car, à l’échelle mondiale, le nombre de décès à la suite d’ingestion d’amanites est en augmentation. Au Québec, deux décès (en 2005 et 2009) ont été rapportés après ingestion de champignons de cette espèce. L’amanite n’est toxique que par ingestion mais d’autres espèces telles que la gyromitre et l’ helvelle peuvent être toxiques par l’inhalation des vapeurs de cuisson. Le contact cutané n’entraîne pas d’intoxication.
La conduite suggérée par le Centre antipoison dépendra de chaque situation.
Le syndrome phalloïdien, responsable de 90-95 % d’ingestions fatales de champignons dans le monde, est ainsi nommé car l’amanite phalloïde (Amanita phalloides) en est la cause la plus fréquente.
Répertoriée dans plusieurs pays d’Europe ainsi qu’aux États-Unis, elle est trouvée en association avec certains feuillus (châtaigniers et chênes) et conifères (pins). À ce jour, elle n’a pas été retrouvée au Québec. Son principal constituant toxique est une amatoxine, l’α-amanitine.
Au Québec, il est possible de retrouver des amatoxines dans certains champignons tels que certaines amanites, lépiotes et galérines.
Amanites potentiellement mortelles
Elle est caractérisée par des vomissements importants, des douleurs abdominales, des diarrhées de type cholériforme (qui peuvent persister jusqu’au 10e jour), menant à une déshydratation sévère et à un débalancement électrolytique avec chochypovolémique. Simultanément, un hyper-insulinisme consécutif à une dysfonction des cellules bêta du pancréas survient et une hypoglycémie drastique s’ensuit. |
Plan de rémission clinique
Entre la 36 e et la 48 e heure, les symptômes régressent malgré le début de l’atteinte hépatique |
Environ deux jours après l’ingestion, l’atteinte hépatique se traduit par une augmentation évidente des transaminases, de la LDH et de la bilirubine. Une hépatomégalie et un ictère discret sont présents. Puis, c’est la défaillance aigüe (nécrose centrolobulaire et dégénérescence vacuolaire) dont le point culminant se situe vers le 4 e ou le 5 e jour. Aux premières anomalies hépatiques s’ajoutent une acidose métabolique, puis des problèmes de coagulation et même une CIVD (coagulation intravasculaire disséminée). Une augmentation progressive de la créatinine sérique signe l’insuffisance rénale. L’encéphalopathie et le coma peuvent s’ensuivre, menant au décès dans les 6 à 16 jours suivant l’ingestion.
Malheureusement, à ce jour, aucun antidote spécifique n’a été découvert. De plus, il n’existe aucun arsenal thérapeutique permettant de traiter de façon efficace et constante l’intoxication induite par les amatoxines. Le défi est de cerner précocément les facteurs pronostiques de l’insuffisance hépatique(4). Il est important d’évaluer rapidement et fréquemment la fonction hépatique et les paramètres de la coagulation. À l’apparition de l’hépatite fulminante, on doit envisager la greffe hépatique. Le traitement est avant tout symptomatique. Il est important de compenser les pertes hydroélectrolytiques et de maintenir une hydratation adéquate. Il est essentiel de respecter la diarrhée qui est une importante voie d’élimination des toxines(4). L’administration répétée de charbon de bois activé est suggérée au début, lorsque l’amatoxine est circulante afin d’interrompre le cycle entérohépatique. Les techniques d’épuration extrarénale sont probablement sans intérêt. Certaines modalités thérapeutiques telles que la vitamine C, la vitamine E, l’acide thioctique, la cimétidine, l’insuline/glucagon, et l’insuline/hormones de croissance se sont avérées non concluantes. La majorité des antibiotiques ne sont plus considérés. Par contre, en raison de leur effet hépatoprotecteur par inhibition de la capture de l’amanitine par la cellule hépatique, la benzylpénicilline (à très fortes doses) et la ceftazidime (céphalosporine de 3e génération) font toujours partie des traitements considérés par plusieurs mais remis en question par la majorité des experts. Parmi les médicaments qui présentent un intérêt thérapeutique important dans le traitement d’une intoxication par les amatoxines, nous retrouvons la N-acétylcystéine et la silymarine.
Cas cliniqueEn juillet 2009, une sexagénaire en bonne santé mange des champignons qu’elle a elle-même cueilli sur un terrain voisin, à proximité de cèdres et de chênes. Aux marasmes des oréades qu’elle a préalablement bien identifiés, s’ajoute un champignon qui s’avérera ultérieurement être une amanite bisporigère. Elle ingère une dizaine de chapeaux du mélange (dont un ou deux chapeaux d’amanite) qu’elle a bien fait cuire au préalable (blanchis et rôtis). Plus de 8 heures après l’ingestion, des nausées, vomissements et diarrhées importants l’amènent à appeler au CAPQ qui lui conseille de se rendre rapidement à l’urgence. Au centre hospitalier où on la réfère, on lui administre du charbon activé de façon répétée pendant près de 24 heures (en demi-doses car elle a de la difficulté à le tolérer). Elle est par la suite transférée à l’unité des soins intensifs. Le lendemain de l’ingestion, on débute un traitement de N-acétylcystéine (protocole intraveineux de 21 heures). La fonction hépatique, qui était normale initialement, se détériore rapidement et la dame est transférée dans un centre d’hépatologie en vue d’une greffe hépatique qui aura lieu cinq jours après l’ingestion. Par la suite, elle présente une coagulopathie, puis une insuffisance rénale. Malgré l’administration de charbon activé et de N-acétylcystéine, ainsi que la greffe et l’hémodialyse, elle succombera à cette intoxication 19 jours après l’ingestion des champignons toxiques. ConclusionOn peut retrouver au Québec des champignons à potentiel létal certain. Étant donné que le diagnostic d’intoxication de type phalloïdien est souvent retardé, il serait souhaitable de disposer d’un antidote qui soit vraiment efficace quant à sa capacité de prévenir l’hépatotoxicité ou d’aider le foie à se régénérer. Peut-être la silibinine est-elle ce précieux allié ? Références
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Le Bulletin d’information toxicologique (BIT) est une publication conjointe de l’équipe de toxicologie clinique de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et du Centre antipoison du Québec (CAPQ). La reproduction est autorisée à condition d’en mentionner la source. Toute utilisation à des fins commerciales ou publicitaires est cependant strictement interdite. Les articles publiés dans ce bulletin d’information n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs et non celle de l’INSPQ ou du CAPQ.
Sylvie Lanteigne : Infirmière clinicienne, CSPI, Centre antipoison du Québec
Révision scientifique
Source:
Gouvernement du Québec